lundi 2 janvier 2012

Les intermittences de la mort

Papillon de nuit
Cher José, 
J'espère que tu ne seras pas chagrin de me voir citer un extrait de ton texte. Cela n'a pas été aisé, tu t'en doutes, comment choisir ? comment couper ? Mais j'avais besoin de tes mots pour approcher la mort.
Bises à Blimunda et heureuse éternité
Céline



"La femme prit le cahier de la suite numéro six de bach et dit, Ceci, C'est très long, cela prendra plus d'une demi-heure et il se fait tard, Je répète que nous avons le temps, Il y a un passage dans le prélude qui me cause des difficultés, Cela n'a pas d'importance, sautez-le quand vous parviendrez là, dit la femme, ou ce ne sera même pas nécessaire, vous verrez que vous jouerez encore mieux que rostropovitch. Le violoncelliste sourit, Vous pouvez en être sûre. Il ouvrit le cahier sur le pupitre, respira profondément, plaça la main gauche sur le manche du violoncelle, la main droite conduisit l'archet presque jusqu'à effleurer les cordes, et il commença. Il ne savait que trop bien qu'il n'était pas rostropovitch, qu'il n'était qu'un soliste d'orchestre quand le hasard d'un programme l'exigeait, mais ici, devant cette femme, avec son chien couché à ses pieds, à cette heure de la nuit, entouré de livres, de cahiers de musique, de partitions, il était johann sebastian bach lui-même, composant à köthen ce qui s'appellerait plus tard l'opus mille douze, des oeuvres presque aussi nombreuses que celle de la création. Le passage difficile fut franchi sans qu'il se fût aperçu de la prouesse qu'il venait d'accomplir, ses mains heureuses faisaient murmurer, parler, chanter, rugir le violoncelle, voilà ce qui avait manqué à rostropovitch, ce salon de musique, cette heure, cette femme. Quand il eut terminé, les mains de la femme n'étaient plus froides, les siennes étaient brûlantes, leurs mains se rencontrèrent donc sans surprise."
José Saramago, éditions du Seuil

2 commentaires:

chrisehregmail.com a dit…

une superbe association de textes
émotion et beauté

Céline Laurent a dit…

Merci, heureuse que ces mots t'aient touchée. Bonne année à toi