samedi 20 octobre 2012

Ecorces

de Georges Didi-Huberman, Les éditions de minuit
  "C'est sur cette route, après la "sélection" sur la Judenrampe, qu'un fonctionnaire nazi s'est posté, entre mai et juin 1944, pour photographier les arrivants des convois de juifs hongrois, et notamment ces "inaptes" - femmes, enfants, vieillards - que l'on menait directement à la mort. En ce dimanche paisible de juin 2011, la route est vide : pas un touriste à l'horizon. Ce n'est qu'une voie caillouteuse pour se rendre de la zone ferroviaire du camp vers la zone des chambres à gaz. L'image que j'en saisis d'une visée sommaire et d'un simple geste du doigt est au fond bien plus retorse, en dépit de sa grande banalité, bien plus complexe que tout ce qu'on peut dire lorsqu'on espère tout d'une photographie ("oui, c'est là, c'est cela") ou au contraire, lorsqu'on n'en espère plus rien du tout (" non, ce n'est pas cela, car cela est inimaginable").
Il suffit d'un point de vue archéologique pour lever les fausses difficultés de cette alternative.Oui, c'est bien là, oui c'est cela qui résiste encore au temps : c'est bien cette route, ce chemin, ce sont bien ces deux haies de piliers en béton munis de barbelés. C'est bien le lieu de notre notre histoire. Mais ce lieu est désormais vide de tous les acteurs de sa tragédie. Le feu de l'histoire est passé. Parti avec la fumée des crématoires, enfoui avec les cendres  des morts. Est-ce à dire qu'il n'y a rien à imaginer parce qu'il n'y a rien -ou si peu- à voir ? Certainement pas. Regarder les choses d'un point de vue archéologique, c'est comparer ce que nous voyons au présent, qui a survécu, avec ce que nous savons avoir disparu."

Pour compléter, entretien avec l'auteur ici.

Réflexion sur la photographie, les lieux de mémoire, l'inimaginable.