samedi 28 janvier 2012

Hiver

Le froid va remplacer la neige dans la nuit de samedi à dimanche © MAXPPP
C’est étrange les dates, artificiel et magique. Le jour de mon anniversaire, par exemple, est bien un jour comme les autres. Il est rare d’ailleurs que je me souvienne de mes anniversaires passés, encore moins des cadeaux reçus. Désolant ! Mais chaque fois, je vois un cap, des résolutions à tenir, comme si ce jour-là avait le pouvoir de me faire changer. Cette année, c’est étonnant, j’ai l’âge de l’année de naissance de ma mère, et ma mère a l’âge de mon année de naissance. Ce n’est sans doute pas un mystère pour les matheux, mais moi, j’y vois un signe. Peut-être que je ne l’oublierai pas. Le comble, car justement, je n’ai pas fêté mon anniversaire.  Cette année, je me suis rendue à la clinique voir ma mère.
Nous nous sommes décidés au dernier moment, car il avait beaucoup neigé. Les champs étaient encore blancs, la route était bien dégagée. Les congères donnaient au plat paysage l’illusion des sommets. On arriva le soir en ville, pataugeant dans la neige sale, mais les réverbères et les guirlandes rendaient la nuit moins austère. J’étais tendue, sans doute de m’être cramponnée à mon volant plusieurs heures : tout peut arriver quand il neige.
Etre à la maternité pour voir sa mère, le jour de son anniversaire, n’est-ce pas cocasse ? Je suis née un peu en avance, je n’étais pas un gros bébé. Ma mère a voulu m’allaiter, mais ses mamelons avaient une forme ombiliquée, et cela n’avait pas été possible. Comble de malchance, je ne supportais pas le lait de vache. Comment ma mère a-t-elle vécu ce premier séjour à la maternité ?
Cette année, encore la malice des chiffres, mon fils a eu dix ans.  Il est devenu un grand, il peut monter à l’avant de la voiture. On a fait une grande fête, avec beaucoup d’invités et de cadeaux. S’en souviendra-t-il ? Moi, j’étais maman depuis dix ans. D’ailleurs, ne fête-t-on pas plutôt la commémoration d’une rencontre, la rencontre avec son premier-né, qui bouleverse l’existence, la rencontre avec chacun des êtres qui nous sont chers ? Les parents fêtent le jour de la naissance, les amoureux le jour de leur premier regard. Mais pour soi-même, marquer et fêter le temps qui passe ne tient que par le renouvellement de nos espoirs.
En fait, cette année, pour mon anniversaire, je n’ai fait que traverser la maternité, car ma mère était hospitalisée dans l’aile de chirurgie. Une opération du sein. Les radiologues ont été embêtés pour l’injection du produit de contraste, car les mamelons étaient ombiliqués. L’opération s’est bien passée, mais je n’ai été tranquille que lorsque nous étions tous réunis à la maison.  La neige fondait.
J’ai décidé que cette conjonction de chiffres n’était pas un hasard, et qu’elle était signe de chance, pour nous tous.

lundi 23 janvier 2012

La carpe et le lapin

Le bonheur d'Emma, par Sven TaddickenAvec Jördis TriebelJürgen Vogel
Pas seulement drôle
Une histoire sur la mort
Touchant

Sur mes lèvrespar Jacques AudiardAvec Vincent CasselEmmanuelle Devos.
Pas seulement violent
Une histoire sur le travail
Flippant

Pas seulement un grand succès
Une histoire sur la différence
Réjouissant



mercredi 18 janvier 2012

Le livre du bonheur

de Nina Berberova, éditions actes sud.
"Au plus profond d'elle-même -  et c'était cela qui faisait de ces trois minutes (ou peut-être quatre ?) un moment de félicité -, tout son être délassé, détendu par le sommeil, se tournait soudain avec calme et attention dans une direction où il semblait qu'il n'y eût rien auparavant : elle regardait et voyait la vie, ce courant qui était aussi en elle, et, dans cette sensation de joie étouffante, abandonnant ce reflet fantomatique d'elle-même qu'elle s'était imaginé un jour, elle ne faisait qu'un avec l'univers tout entier, le soleil qui se lève, les cris des oiseaux, tout ce qui est et demeurera sans fin."
Un vrai bonheur à lire ...

vendredi 13 janvier 2012

Le portrait

http://berthaux.blogspot.com/
"Une histoire que lui avait jadis contée son professeur lui revint à la mémoire. L'illustre léonard de Vinci avait peiné, dit-on, plusieurs années sur un portrait qu'il considéra toujours comme inachevé ; cependant, à en croire Vasari, tout le monde le tenait pour l'oeuvre la mieux réussie, la plus parfaite qu'il fût ; les contemporains admiraient surtout les yeux, où le grand artiste avait sur rendre jusqu'aux imperceptibles veinules. Dans le cas présent, il ne s'agissait point d'un tour d'adresse, mais d'un phénomène étrange et qui nuisait même à l'harmonie du tableau : le peintre semblait avoir encastré dans sa toile des yeux arrachés à un être humain. Au lieu de la noble jouissance qui exalte l'âme à la vue d'une belle oeuvre d'art, si repoussant qu'en soit le sujet, on éprouvait devant celle-ci une pénible impression."
Nouvelles de Pétersbourg, Gogol, éditions Folio classique

samedi 7 janvier 2012

Le principe de réalité selon Dorn

"Avant de quitter Berlin, il fallait qu'Alfred établisse des listes où il inscrirait tout ce qui était susceptible de disparaître, afin que toute tendance à disparaître puisse être détectée à temps et qu'il puisse intervenir. Il n'avait pas encore surmonté le choc qu'il avait reçu en apprenant que le professeur avait brûlé toutes ses lettres. Tout ce qu'il ne conservait pas lui-même finissait par être détruit. La réalité est un processus de destruction. Ce qu'on appelle le principe de réalité est un système destiné à transfigurer ce processus de destruction. Pour éviter que les gens ne se mettent à pousser des cris de douleur, et ne s'arrêtent plus jamais de crier, on les habitue à penser que le temps qui passe apporte plus de choses agréables que de choses mauvaises. En réalité, c'est le contraire, mais il faut le gommer et le transfigurer. Il ne pouvait tout de même pas quitter Berlin sans savoir quelle musique on avait jouée pour les obsèques de sa  mère !"
Martin walser, Dorn ou le musée de l'enfance, éditions Robert Laffont.

mercredi 4 janvier 2012

L'île

"Il la regarda. Ce mot jouer, quelle trouvaille ! Ce mot seul, c'était tout un peuple, toute une civilisation ! Quel air innocent il avait ! On faisait une partie de cache-cache avec Itia sous les fougères géantes, et quand on l'avait attrapée, on jouait. Adamo et Itia, nus et enfantins sur la mousse comme deux bébés sur un  tapis ... Jouer ! Jouer ! La vie entière n'était qu'un jeu. le matin, quand il faisait frais, on jouait à pêcher des poissons. L'après-midi, on jouait à monter dans les cocotiers pour cueillir les noix. Le soir, quand la fraîcheur revenait, on jouait à chasser le cochon sauvage. Mais vers le milieu du jour, et en plein ventre du soleil, on gagnait l'ombre, et on jouait ... le verbe n'avait plus besoin de complément. C'était le jeu par excellence. le plus innocent des jeux."
Robert Merle, Editions Gallimard
Plutôt que roman d'aventure, réflexion sur le racisme, la démocratie ...

lundi 2 janvier 2012

Les intermittences de la mort

Papillon de nuit
Cher José, 
J'espère que tu ne seras pas chagrin de me voir citer un extrait de ton texte. Cela n'a pas été aisé, tu t'en doutes, comment choisir ? comment couper ? Mais j'avais besoin de tes mots pour approcher la mort.
Bises à Blimunda et heureuse éternité
Céline



"La femme prit le cahier de la suite numéro six de bach et dit, Ceci, C'est très long, cela prendra plus d'une demi-heure et il se fait tard, Je répète que nous avons le temps, Il y a un passage dans le prélude qui me cause des difficultés, Cela n'a pas d'importance, sautez-le quand vous parviendrez là, dit la femme, ou ce ne sera même pas nécessaire, vous verrez que vous jouerez encore mieux que rostropovitch. Le violoncelliste sourit, Vous pouvez en être sûre. Il ouvrit le cahier sur le pupitre, respira profondément, plaça la main gauche sur le manche du violoncelle, la main droite conduisit l'archet presque jusqu'à effleurer les cordes, et il commença. Il ne savait que trop bien qu'il n'était pas rostropovitch, qu'il n'était qu'un soliste d'orchestre quand le hasard d'un programme l'exigeait, mais ici, devant cette femme, avec son chien couché à ses pieds, à cette heure de la nuit, entouré de livres, de cahiers de musique, de partitions, il était johann sebastian bach lui-même, composant à köthen ce qui s'appellerait plus tard l'opus mille douze, des oeuvres presque aussi nombreuses que celle de la création. Le passage difficile fut franchi sans qu'il se fût aperçu de la prouesse qu'il venait d'accomplir, ses mains heureuses faisaient murmurer, parler, chanter, rugir le violoncelle, voilà ce qui avait manqué à rostropovitch, ce salon de musique, cette heure, cette femme. Quand il eut terminé, les mains de la femme n'étaient plus froides, les siennes étaient brûlantes, leurs mains se rencontrèrent donc sans surprise."
José Saramago, éditions du Seuil