"Je regardais la neige tomber sans bruit, sans fin, et je me rendais compte que ce n'était pas la neige qui tombait. Cette perception s'empara de ma conscience en un éclair, comme si quelque chose, soudain, avait émis un éclat de lumière devant mes yeux ; je retins mon souffle. Non, la neige ne tombe pas. C'est plutôt le monde sur lequel je me trouve qui s'élève toujours plus haut dans cet univers saturé de flocons. En silence, doucement, régulièrement, le monde poursuit son ascension. Moi, je suis assis sur un rocher posé au beau milieu du monde. La mer tout entière, cette prodigieuse masse d'eau, s'élève sans soulever une seule vague, et moi qui regarde cela je m'élève. La neige n'est rien d'autre que l'indice d'une ascension infinie."
le second récit s'intitule "l'homme qui revient" :
"J'ai été d'emblée captivé par cette musique. C'était comme si coulait dans ma bouche, goutte après goutte, une eau à la saveur subtile, de celles qui, par leur transparence, permettent de voir jusqu'au fond d'un puits. Et à mesure que je l'écoutais, j'ai perçu peu à peu, dans chacune des sonorités qui la composaient, des voix humaines, des voix qui m'étaient toutes familières. Pas seulement celles de gens que j'avais pu rencontrer, avec qui j'avais été intime autrefois, et qui de ce fait m'étaient restées dans l'oreille : il y en avait d'autres encore, voix écoutées en disque ou au cinéma, voix imaginaires de personnes dont je ne connaissais que le nom, auxquelles venaient se mêler celles du passé, celles d'êtres pouvant avoir vécu un millénaire plus tôt, et aucune ne se distinguait nettement des autres : la seule certitude qui jaillissait de ces sensations auditives, c'est qu'il y avait une multitude de voix différentes, et qu'elles résonnaient toutes ensemble."
Etrangeté et poésie, dans un quotidien presque ordinaire.